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Prisons et santé : incompatibles

Carte blanche du GENEPI Belgique – lundi 23 mars 2020

Alors que la Belgique entre dans son sixième jour de confinement, les détenu·e·s, privé.e.s de liberté toute l’année, subissent de plein fouet les effets secondaires de la crise. Outre l’augmentation des restrictions et des violences à l’intérieur des prisons, la promiscuité et la mauvaise santé générale des détenu·e·s risquent de transformer les maisons d’arrêt et les maisons de peine en véritable incubateur du virus. Dès lors, il est urgent de prendre des mesures pour désengorger les prisons.

La prison est un lieu de peines et de souffrances physiques et psychologiques. Les conditions de détention en Belgique ont été condamnées à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’Homme. Comme l’écrit l’ASBL i.Care sur son site internet : « la population carcérale est vulnérable de manière chronique ou temporaire. Caractérisée par une surreprésentation des catégories sociales en temps précaires, son accès aux soins est peu aisé et sa santé est parfois très affectée avant même de passer la porte des prisons ». Les conditions de détention s’aggravent en temps d’épidémie. Depuis juin 2017, on n’en cite pas moins de trois : gale, rougeole et punaises de lit ont sévi dans les prisons de Gand, Mons, Lantin, Berkendael et Arlon. À l’heure où nous faisons tous et toutes l’expérience du confinement, nous réalisons que l’accès aux moyens permettant de maintenir du lien social est vital, tant au quotidien que sur les moyens et longs termes. C’est toutefois la rupture sociale qui caractérise souvent l’expérience carcérale. Une rupture exacerbée dans cette période de confinement total par l’absence d’accès à internet et aux réseaux sociaux, qui pour la majorité de la population dehors, nous font tenir le coup.

Le COVID-19, nous le savons, a un fort potentiel de contamination. De plus, il est potentiellement mortel particulièrement pour les populations déjà affaiblies. Le risque est encore accru pour des individus qui souffrent de troubles respiratoires et de déficiences immunitaires, ce qui est le cas de très nombreuses personnes détenues. Selon le Centre Fédéral d’Expertise de Soins de Santé, alors que 3 personnes sur 4 sont en bonne santé dans la population générale, seule la moitié́ de la population carcérale présente un état de santé normal.

Les établissements pénitentiaires, suivant les recommandations sanitaires, ont fait interdire toutes les visites depuis le 16 mars, excepté quelques visites professionnelles. Les visites de proches ont toutes été suspendues jusqu’au 3 avril a minima. En réponse à cette mesure, qui isole d’autant plus les détenu·e·s de leurs proches, 20 euros de crédit d’appel ont été alloués à chaque détenu·e.

Par ailleurs, nous nous interrogeons sur l’effectivité de ces mesures dans cette période de crise qui accroît considérablement l’absentéisme d’agents pénitentiaires déjà habituellement sous pression et en sous-effectif chronique. Une autre mesure précise que les détenu·e·s contaminé·e·s seront transféré·e·s à Bruges et les cas graves seront hospitalisés.

Nous pensons que ces mesures sont largement insuffisantes d’une part, pour garantir la santé de toutes et tous ; et d’autre part, pour garantir les droits des détenu·e·s. En effet, face au risque pandémique, dans un espace où la promiscuité physique est exacerbée, les précautions d’hygiène et la distanciation physique sont impossibles à respecter. Cela impacte également les agent·e·s pénitentiaires qui sont débordés et s’exposent tout comme les détenu·e·s à des risques importants de contagion. Ainsi, une augmentation exponentielle des contagions menace nos prisons, ce qui risque d’aggraver la saturation des hôpitaux. En outre, ces mesures renforcent l’isolement social et les risques psychologiques qui en découlent. Le droit des détenu·e·s et de leurs proches d’entretenir des liens familiaux est gravement menacé, d’autant plus que nous pouvons raisonnablement supposer que les mesures de confinement s’étaleront sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois, comme l’indique le cas chinois. Les cas italiens et français indiquent que des émeutes parfois fatales peuvent éclater dans ce contexte particulier[2]. En Belgique, des troubles ont éclaté à Nivelles, à Termonde et à Saint-Gilles.

Si la décision du Conseil central de surveillance pénitentiaire de suspendre le contrôle des commissions de surveillance en prison (et parle de mettre sur pied une permanence téléphonique) est une précaution sanitaire nécessaire et compréhensible, cette absence ne permet plus d’avoir un regard in situ sur les conditions actuelles de vie détention qui s’annoncent donc particulièrement difficiles, voir mortifères. 

En raison de l’épidémie, le parquet, par l’intermédiaire de la procureure Ine Van Wymersch, porte-parole de crise, a décidé de reporter le commencement de l’exécution de certaines peines de prison, afin de limiter les risques de contaminations. Ces reports sont évalués au cas par cas, en fonction de la gravité des infractions et de la dangerosité des personnes condamnées. Si de tels reports sont possibles, des libérations anticipées et des aménagements de peines le sont aussi.

Des réflexions allant dans ce sens sont en cours en Irlande et au Canada. Bien que des juges d’instruction lèvent certains de leurs mandats d’arrêt, ces initiatives restent individuelles et demandent une mobilisation personnelle des avocat·e·s, des greffier·ère·s, des juges et du reste de l’appareil judiciaire, ce qui ne permet ni cohérence, ni sécurité́ juridique, ni respect des mesures de confinement et de distanciation sociale.

Afin de réduire la concentration de la population carcérale, de limiter les risques sanitaires liés aux départs et retours répétés en prison et ainsi contribuer à combattre le pic d’infection, la Direction générale des établissements pénitentiaires demande, par circulaire ministérielle du 21 mars, aux directeurs de prisons d’octroyer un congé prolongé, pour certaines catégories restreintes de détenu·e·s, pour la durée de pandémie du Coronavirus. Si ces mesures vont dans le bon sens, elles ne seront pas suffisantes pour endiguer le phénomène.

C’est pourquoi, nous demandons :

  • Que, comme ce devrait être le cas pour toutes les personnes vivant dans des conditions précaires ou risquées, il soit organisé un dépistage systématique des personnes détenues et que des mesures sanitaires adéquates soient prises à l’égard des personnes qui répondent positivement au COVID19.
  • La libération de toutes les personnes détenues vulnérables (en raison de leur âge ou de leur état de santé général), le plus possible, au moyen de la libération sous conditions si ces personnes sont en détention préventive ou de la libération provisoire ou de la libération conditionnelle si elles sont condamnées. Cela implique de s’assurer que les personnes libérées puissent disposer, à l’extérieur, des ressources humaines et matérielles suffisantes en ces temps de confinement généralisé et de mettre ses ressources à leur disposition si leur environnement extérieur est en défaut
  • Le renforcement massif de l’apport de matériel sanitaire et du suivi de la santé des personnes restant détenues.
  • Le maintien des contacts avec les proches en facilitant encore les contacts téléphoniques (que ce soit avec les familles, les proches, les avocat·e·s et tout autre intervenant·e·s, notamment les psychologues et visiteur·euse de prison) et d’assurer la continuité des relations par tous les moyens possibles.
  • L’organisation de mesures alternatives efficaces pour pallier l’absence des commissions de surveillance et ce afin de maintenir le contrôle des conditions de vie pénitentiaires d’autant plus fragilisées en cette période. Une recommandation similaire est adressée aux services externes d’aide aux détenu·e·s et à leurs proches et surtout aux services et associations de santé œuvrant en milieu carcéral.

Ces mesures dépassent le seul intérêt des personnes incarcérées. La santé de tous et toutes dépend aujourd’hui de la mise en place rapide et efficace de mesures solidaires, dont aucun groupe social ne peut être exclu. Elles permettent aussi de préserver la santé précaire, tant des personnes incarcérées que des travailleurs et travailleuses au sein de la prison, en leur permettant de réduire les risques de contamination et de circulation du virus. Au risque de voir les prisons devenir un nouvel épicentre pandémique, nous devons prendre les mesures adéquates de toute urgence.